Retraite de Carême, 3ème médiation

Troisième méditation : Poser un regard surnaturel sur les évènements, ou voir au-delà des apparences

La semaine dernière, nous avons terminé en prenant de la hauteur ; sur le mont Thabor, Jésus laisse percevoir sa divinité, l’espace d’un instant. Le ciel s’ouvre, la voix du Père se fait entendre. Jésus révèle de façon lumineuse qui il est vraiment, pour que, le moment venu, les apôtres se souviennent et ne perdent pas l’espérance, même face à l’évènement tragique et incompréhensible de la croix.

Je voudrais aujourd’hui nous inviter (c’est plutôt le Seigneur qui nous y invite) à voir plus loin que ce que les évènements peuvent mettre sous nos yeux. Voir plus loin, au-delà des apparences. Nous avons pris de la hauteur pour cela ; nous sommes sur le Thabor avec Jésus transfiguré, alors qu’il va vivre sa Passion. Regardons donc au loin…

D’abord deux passages de l’Écriture :

Marc 3, 01 : « Jésus entra de nouveau dans la synagogue ; il y avait là un homme dont la main était atrophiée.On observait Jésus pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat. C’était afin de pouvoir l’accuser.Il dit à l’homme qui avait la main atrophiée : « Lève-toi, viens au milieu. »Et s’adressant aux autres : « Est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal ? de sauver une vie ou de tuer ? » Mais eux se taisaient.Alors, promenant sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leurs cœurs, il dit à l’homme : « Étends la main. » Il l’étendit, et sa main redevint normale. Une fois sortis, les pharisiens se réunirent en conseil avec les partisans d’Hérode contre Jésus, pour voir comment le faire périr. »

Jean 5, : (la guérison du paralysé à la piscine de Bethesda) « Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ton brancard, et marche. »Et aussitôt l’homme fut guéri. Il prit son brancard : il marchait ! Or, ce jour-là était un jour de sabbat.Les Juifs dirent donc à cet homme que Jésus avait remis sur pieds : « C’est le sabbat ! Il ne t’est pas permis de porter ton brancard. »Il leur répliqua : « Celui qui m’a guéri, c’est lui qui m’a dit : “Prends ton brancard, et marche !” »Ils l’interrogèrent : « Quel est l’homme qui t’a dit : “Prends ton brancard, et marche” ? »…C’est pourquoi, de plus en plus, les Juifs cherchaient à le tuer, car non seulement il ne respectait pas le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son propre Père, et il se faisait ainsi l’égal de Dieu. »

En écoutant ces deux épisodes de l’évangile, on en envie de dire : ces pauvres pharisiens sont vraiment aveugles ! De vrais imbéciles qui ne voient qu’une chose : la transgression du sabbat. Ils sont les témoins d’un signe extraordinaire qui manifeste la présence de Dieu, qui révèle qui est ce Jésus qu’ils ont en face d’eux, et la seule chose qui les obsède, ce n’est pas le signe extraordinaire et ce qu’il signifie, ce qu’ils voient d’abord c’est la transgression de la règle.

Écoutons 2 autres passages :

Luc 7, 11 (la résurrection du fils de la veuve) « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. »Alors le mort se redressa et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère.La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu en disant : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. »

Matthieu 9, 02 « Et voici qu’on lui présenta un paralysé, couché sur une civière. Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé : « Confiance, mon enfant, tes péchés sont pardonnés. »Et voici que certains parmi les scribes se disaient : « Celui-là blasphème. »Mais Jésus, connaissant leurs pensées, demanda : « Pourquoi avez-vous des pensées mauvaises ?En effet, qu’est-ce qui est le plus facile ? Dire : “Tes péchés sont pardonnés”, ou bien dire : “Lève-toi et marche” ?Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir, sur la terre, de pardonner les péchés… – Jésus s’adressa alors au paralysé – lève-toi, prends ta civière, et rentre dans ta maison. »Il se leva et rentra dans sa maison. Voyant cela, les foules furent saisies de crainte, et rendirent gloire à Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes. »

Attitudes bien différentes des personnes qui, à travers le signe posé, sont capables de voir au-delà, de voir ce que ces signes disent, ce qu’ils annoncent, celui qu’ils dévoilent.

Deux façons d’interpréter un évènement ; une façon, la première, qui emprisonne, ou plutôt qui est le signe que ces pauvres pharisiens sont prisonniers de leur système de pensée, et l’autre qui révèle la capacité de l’être humain à voir plus loin, ce que le signe révèle.

Observons Jésus lui-même dans sa façon de faire. Quand il appelle les Douze, par exemple, il appelle des pécheurs de poissons, des rustres qui ne savent pas parler, un voleur, des zélotes. Jésus n’appelle pas des grands prêtres ou des pharisiens, ou des scribes ou des hommes puissants ; il appelle des pauvres, des pécheurs, des parias même. Écoutons saint Jean Chrysostome faire une description de ces apôtres : 

« La croix a gagné les esprits au moyen de prédicateurs ignorants, et cela dans le monde entier. Il ne s’agissait pas de questions banales, mais de Dieu et de la vraie foi, de la vie selon l’Évangile, du jugement futur. Elle a donc transformé en philosophes des rustres et des illettrés. Voilà comment la folie de Dieu est plus sage que l’homme, et sa faiblesse, plus forte.
Comment douze hommes, des ignorants, ont-ils pu avoir l’idée d’une pareille entreprise, eux qui vivaient auprès des lacs et des fleuves, et dans le désert ? Eux qui n’avaient jamais fréquenté les villes et leurs assemblées, comment ont-ils pu songer à se mobiliser contre la terre entière ? Ils étaient craintifs et sans courage : celui qui a écrit sur eux le montre bien, lui qui n’a voulu ni excuser ni cacher leurs défauts. C’est là une preuve très forte de vérité. Que dit-il donc à leur sujet ? Quand le Christ fut arrêté, après avoir fait d’innombrables miracles, la plupart s’enfuirent, et celui qui était leur chef de file ne resta que pour le renier.
Ces hommes étaient incapables de soutenir l’assaut des Juifs quand le Christ était vivant. Et lorsqu’il fut mort et enseveli, alors qu’il n’était pas ressuscité, qu’il ne leur avait donc pas adressé la parole pour leur rendre courage, d’où croyez-vous qu’ils se seraient mobilisés contre la terre entière ? Est-ce qu’ils n’auraient pas dû se dire : « Qu’est-ce que cela ? Il n’a pas été capable de se sauver lui-même, et il nous protégerait ? Quand il était vivant, il n’a pas pu se défendre, et maintenant qu’il est mort il nous tendrait la main ? Quand il était vivant, il n’a pu se soumettre aucune nation, et nous allons convaincre la terre entière en proclamant son nom ? Comment ne serait-il pas déraisonnable, non pas même de le faire, mais seulement d’y penser ? »
La chose est donc évidente : s’ils ne l’avaient pas vu ressuscité et s’ils n’avaient pas eu la preuve de sa toute-puissance, ils n’auraient pas pris un risque pareil. 
»

Voilà ce que fait la puissance de la résurrection, cette puissance qui agit en nous et nous rend capables de voir au-delà des apparences, de voir la vie derrière le voile de la mort. C’est parce qu’ils ont vu Jésus ressuscité que les deux disciples d’Emmaüs font machine arrière et qu’ils vont maintenant être capables de proclamer la nouvelle ; même chose pour les Douze.

Et Jésus a choisi ces hommes parce qu’il est capable de voir ce qu’ils vont devenir. Il voit au-delà des apparences. Certes il est Dieu et il sait tout, mais il nous invite ainsi à être capables nous-mêmes de voir plus loin que les apparences. Si Jésus en était resté aux apparences, jamais il n’aurait choisi ces hommes-là. Il voit ce qu’ils vont devenir, transformés par la grâce de Dieu, témoins de sa résurrection.

Nous pourrions relire maintenant toutes les paraboles du Royaume ; retenons simplement quelques paroles de Jésus, primordiales dans notre propos : « Voici que le règne de Dieu est au milieu de vous. » (Lc 17, 21) Sommes-nous capables de voir le levain dans la pâte ? Sommes-nous capables de voir, dans la petite graine de moutarde, la plante qu’elle va devenir, capable d’abriter des oiseaux ? Ou dans le gland, le chêne qui sommeille ?

Le disciple de Jésus doit être capable de cette vision-là, voir les promesses, voir le devenir, voir le Royaume présent au milieu de ce monde, dans la vie des hommes, voir l’Esprit à l’œuvre, d’abord l’Esprit Saint à l’œuvre, avant de voir l’esprit du Mauvais. Or notre tendance naturelle n’est-elle pas souvent de voir ce qui ne va pas, les défauts, les manques ? Passer de cette tendance naturelle guidée par la chaire à la tendance surnaturelle inspirée par l’Esprit. Telle est notre mission, ce pourquoi nous avons été appelés par le Seigneur : être témoins de l’invisible : « comme s’il voyait l’invisible. » (Jacques Loewe)

Comme dit un proverbe chinois, « quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le bout du doigt. »

Quel est le regard que nous posons sur les autres, sur nous-mêmes, sur ce monde, sur l’Église ?

Je voudrais nous inviter à avoir ce regard surnaturel sur les évènements pour ne pas en rester au superficiel, aller à l’essentiel pour ne pas passer à côté, voir d’abord l’œuvre de Dieu, parce que cela nourrit l’espérance.

Revenons à nos braves pharisiens, témoins de ces deux miracles de Jésus et qui rouspètent parce que la loi sur le sabbat n’a pas été respectée. Parfois, nous agissons comme eux, au risque de passer à côté du Seigneur sans voir qu’il est là.

Le disciple de Jésus Christ est rendu capable de voir la présence de Dieu, de s’en émerveiller et de rendre grâce.

Porter ce regard surnaturel est source d’une grande liberté intérieure, d’une paix inimaginable, d’une espérance extraordinaire.

Ils ont devant eux un paralysé debout et ils lui reprochent de porter son brancard, incapables d’être bouleversés par le seul fait de voir ce paralysé debout. Ils voient de leurs yeux, une main desséchée redevenir normale ; ils le voient mais ce miracle ne les touche pas ; ils demeurent enfermés, prisonniers dans leur certitude, dans une loi qu’ils appliquent de façon formelle, se moquant ainsi de Dieu et de sa volonté, incapables de lire les signes des temps. On pourrait dire qu’ils vivent en surface ; ils ne peuvent pas voir la profondeur de ce qui est.

Ne soyons pas comme eux ; c’est un risque qui nous guette. Nous sommes les témoins de la résurrection du Christ et la puissance de la résurrection agit en nous. Elle nous permet de ne pas en rester à ce qui est terrestre. Elle permet de voir Dieu présent en ce monde, en nous, dans le cœur des hommes. La foi en la résurrection du Christ ouvre nos yeux sur les réalités surnaturelles, c’est-à-dire qu’elle nous dit, qu’elle nous crie même que Christ est vainqueur et que cela doit habiter notre être, notre vie, notre agir, nos pensées, notre mission. Sinon, nous n’avons plus qu’à retourner à la pèche (ça doit vous dire quelque chose), sans cela c’est un aller simple vers Emmaüs sans retour à Jérusalem. Chaque baptisé, doit se comporter en citoyen des cieux. La mission du pasteur est de rappeler sans cesse aux baptisés qu’ils sont citoyens des cieux, ce qui ne les éloigne pas, au contraire, de leur mission sur terre, mais lui donne un sens, une orientation, un but.

Je vous propose donc ce soir et si vous le voulez bien tout au long de cette semaine, d’être attentif aux signes de la présence agissante de Dieu dans votre vie, dans la vie de ceux que vous rencontrerez, dans la vie de ce monde. N’hésitez pas à noter ces petites lumières des cieux.

Pour terminer, une petite histoire : « Un jour, le Seigneur Jésus se promenait sur la terre, comme il en avait l’habitude. Depuis le jour où il était né en ce monde, et bien qu’étant retourné auprès du Père, de temps en temps il descendait sur terre, incognito. C’était un soir, une nuit étoilée, magnifique, nuit comme il les aimait. Le Seigneur préférait les grands espaces, les montagnes, les déserts. Ce soir-là, il décida de faire quelques pas dans les Pyrénées, montagnes qu’il aimait particulièrement, Marie elle-même ayant fait un saut un jour, dans une petite ville de la Bigorre et ayant vanté à son Fils divin la beauté du pays. C’était le printemps ; des moutons gambadaient encore dans les pâturages. Il y avait ce soir-là un jeune berger qui gardait ses moutons. Jésus en fut ravi, surtout qu’il n’y avait plus beaucoup de bergers ces derniers temps. Le jeune berger regardait le ciel mais semblait intrigué. Jésus s’approche de lui ; pour ne pas lui faire peur, il avait revêtu à la hâte un habit de randonneur. « Bonjour l’ami. » « Bonjour » répondit le jeune berger.

« Que regardes-tu ? » « Le ciel » répondit le jeune homme. « Et que vois-tu ? » Demanda Jésus. « La nuit, sombre, et parfois, ça me fait peur. » « Regarde bien », insista Jésus. « Regarde de façon plus profonde. Et dis-moi ce que tu vois. » « Oui, c’est vrai, il y a des milliers de petites étoiles. » « Et quand tu regardes ces étoiles, qu’est ce que ça met dans ton cœur ? » « De l’espoir », répond le berger.

« Et bien tu vois mon ami, quand le Bon Dieu regarde ton cœur, il ne commence pas par voir ce qui est sombre, il voit toutes les petites lumières que tu as allumé chaque fois que tu as posé un acte de charité. Et le Bon Dieu, il est heureux ! Et bien toi, mon frère, quand tu regardes tout ce qui est autour de toi, ne vois pas d’abord la nuit, mais ces petites lumières qui scintillent dans la nuit, et tu seras heureux, comme le Bon Dieu. » « Comment vous savez cela ? » demanda le jeune berger intrigué. « C’est que moi aussi je suis berger. » Le jeune homme releva de nouveau son visage vers le ciel qui, d’un seul coup, était scintillant de la lumière de toutes les étoiles. Son cœur fut rempli de joie. Lorsque son regard revint sur terre, le randonneur avait disparu mais le jeune berger, ne sachant pas trop pourquoi, avait envie de crier au monde que, dans la nuit, le plus important, ce n’est pas l’obscurité, mais la lumière des étoiles.

L’espérance est le moteur de la mission. Lundi prochain nous verrons comment Jésus nous envoie en mission, ce qu’il nous demande, ce qu’il nous donne pour le faire. Comment, comme ce jeune berger, nous avons à annoncer la lumière qui brille dans les ténèbres, la lumière du Christ Ressuscité.

P. Stéphane +

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